Le Bel Exutoire

Thursday, August 03, 2006

de l'amour et de la vie...

L’amour est une image de notre vie:
l’un et l’autre sont sujets aux mêmes révolutions et aux mêmes changements.
Leur jeunesse est pleine de joie et d’espérance:
on se trouve heureux d’être jeune, comme on se trouve heureux d’aimer.
Cet état si agréable nous conduit à désirer d’autres biens, et on en veut de plus solides;
on ne se contente pas de subsister, on veut faire des progrès, on est occupé des moyens de s’avancer et d’assurer sa fortune;
on cherche la protection des ministres, on se rend utile à leurs intérêts;
on ne peut souffrir que quelqu’un prétende ce que nous prétendons.
Cette émulation est traversée de mille soins (soucis) et de mille peines,
qui s’effacent par le plaisir de se voir établi;
toutes les passions sont alors satisfaites, et on ne prévoit pas qu’on puisse cesser d’être heureux.
Cette félicité néanmoins est rarement de longue durée, et elle ne peut conserver longtemps la grâce de la nouveauté.
Pour avoir ce que nous avons souhaité (quoique nous ayons), nous ne laissons pas de souhaiter encore.
Nous nous accoutumons à tout ce qui est à nous;
les mêmes biens ne conservent pas leur même prix, et ils ne touchent pas toujours également notre goût;
nous changeons imperceptiblement, sans remarquer notre changement;
ce que nous avons obtenu devient une partie de nous-mêmes:
nous serions cruellement touchés de le perdre, mais nous ne sommes plus sensibles au plaisir de le conserver;
la joie n’est plus vive, on cherche ailleurs que dans ce qu’on a tant désiré.
Cette inconstance involontaire est un effet du temps, qui prend malgré nous sur l’amour comme sur notre vie;
il en efface insensiblement chaque jour un certain air de jeunesse et de gaieté, et en détruit les plus véritables charmes;
on prend des manières plus sérieuses, on joint des affaires à la passion;
l’amour ne subsiste plus par lui-même, et il emprunte des secours étrangers.
Cet état de l’amour représente le penchant (déclin) de l’âge, où on commence à voir par où on doit finir;
mais on n’as pas la force de finir volontairement, et dan le déclin de l’amour comme dans le déclin de la vie, personne ne se peut résoudre de prévenir les dégoûts qui restent à éprouver;
on vit encore pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs.
La jalousie, la méfiance, la crainte de lasser, la crainte d’être quitté, sont des peines attachées à la vieillesse de l’amour,
comme les maladies sont attachées à la trop longue durée de la vie:
on ne sent plus qu’on est vivant que parce qu’on sent qu’on est malade,
et on ne sent aussi qu’on est amoureux que par sentir toutes les peines de l’amour.
On ne sort de l’assoupissement des trops longs attachements que par le dépit et le chagrin de se voir toujours attaché;
enfin, de toutes les décrépitudes,celle de l’amour est la plus insupportable.
La Rochefoucauld

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